Lettre à la Ministre de la Culture
Montréal, le 17 mars 2006
Madame Line Beauchamp
Ministre de la Culture et des Communications
225, Grande Allée, Bloc C 1er étage
Québec (Québec)
G1R 5G5
Objet : Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement. Projet pilote
Madame la ministre,
La présente fait suite à la rencontre de certains d’entre nous avec votre directrice du secrétariat et des communications Madame Danielle-Claude Chartré, le 26 août 2005, concernant les problèmes de gestion de la Politique d’intégration des arts à l’architecture (programme du 1%). À cette occasion Madame Chartré nous avait laissé croire qu’elle mettrait sur pied un plan de changements à court et long terme. Malheureusement, dans sa lettre du 19 octobre 2005, dont copie jointe, et bien qu’elle admette certains faits, dont le phénomène de récurrence dans l’octroi des contrats du 1%, nous n’avons perçu chez Madame Chartré aucune intention réelle d’agir.
Nous ramenons donc devant vous les problèmes soulevés qui se résument comme suit :
Depuis de nombreuses années un petit groupe d’artistes semble avoir monopolisé une large part du programme du 1%, grâce notamment à la nomination des mêmes artistes dans les jurys de sélection comme dans ceux d’attributions des bourses. On pourrait dire que, sans qu’il y ait eu de complot préalable et sans que cela inclut tous les artistes participants, un réseau d’artistes favorisés s’est constitué au long des années, tout simplement grâce au mode de fonctionnement du système.
Cette situation a été dénoncée, au moins depuis les années 90, par quelques artistes et travailleurs culturels. Entre autres M. Jean-Claude Leblond, alors directeur de « Vie des Arts », dans ses articles incendiaires de novembre 1991 à La Presse, lesquels lui valurent d’être ostracisé même si on les cite aujourd’hui dans les universités.
De la même manière, si on fait abstraction du vocabulaire provocateur de son pamphlet « L’Art de qui? » paru en 2003 aux Éditions Varia, les tableaux statistiques présentés par Marcel Deschênes en pages 74-81 contribuent sans doute une part d’éclairage.
Nous sommes donc reconnaissants à Madame Lise Bissonnette, que le respect qu’elle inspire met à l’abri et qu’on ne saurait soupçonner de partialité, d’avoir à son tour écrit dans Le Devoir du 18 janvier 1998 : « Et les procédures de concours sont telles qu’elles s’apparentent à une invitation sélective. Leur dynamique, fort prévisible, a créé des vedettes et abonnés du 1% qui concentrent les contrats : de 93 à 95, le quart des artistes retenus ont réalisé au moins deux projets, et 15% en ont réalisé trois ou plus. De moins connus ou de plus jeunes sont ainsi systématiquement écartés. « Dis-moi qui siège au jury et je te dirai qui aura le prix », l’adage bien connu des milieux culturels prend ici son plein sens. »
Les défauts de la méthode de gestion actuelle auraient donc au fil des ans généré une distorsion qui a toutes les apparences du favoritisme, là où le principe du jugement des pairs est en place et nous croyons qu’il n’est pas normal à notre époque de tolérer un système qui permet à certains langages esthétiques de dominer presque toute la scène des arts visuels. D’autant plus que l’une des principales caractéristiques de l’art contemporain est son pluralisme.
C’est pourquoi, et sans accuser quiconque, nous vous proposons de mettre sur pied un projet pilote visant à corriger le mode de fonctionnement du Programme d’intégration des arts à l’architecture et basé sur plusieurs actions concrètes que voici :
- Développer un système d’appels d’offres ouverts à tous les artistes inscrits au fichier. Ces appels peuvent facilement être faits par Internet ou par l’entremise des journaux.
- Favoriser la présentation de tous les projets sous le couvert de l’anonymat qui est une pratique courante dans les concours d’architecture internationaux. De plus, cette pratique progressiste commence à gagner du terrain dans notre pays, comme le démontre le concours récent d’art public et d’aménagement de la Ville de Gatineau pour l’intersection des boulevards Maisonneuve et du Sacré-Cœur.
- Limiter par règlement le nombre maximum des présences d’un(une) artiste ou expert dans les comités à l’intérieur d’une période donnée, afin d’obliger le renouvellement du bassin de jurés.
- Procéder par tirage au sort informatisé et stratifié pour la désignation des jurys. Constituer à cette fin, à partir de critères objectifs annoncés, des listes publiques et révisables des personnes habilitées à siéger à tel ou tel niveau de jury (A, B, etc.) Ces mesures seraient susceptibles d’assurer la présence dans les jurys d’artistes représentant toutes les tendances de l’art contemporain.
- S’assurer que vos fonctionnaires respectent le décret 956-96, sur la Politique d’intégration des arts à l’architecture qui définit clairement les conditions d’admission au fichier du programme, et qu’ils n’empiètent pas sur la prérogative exclusive du RAAV de définir qui est un(e) artiste professionnel(le).
En effet, des artistes professionnels membres du RAAV ont récemment été exclus du fichier du fait qu’ils n’exposaient pas dans des réseaux de diffusion reconnus par le ministère. Or ces réseaux de diffusion sont actuellement inaccessibles pour un grand nombre des artistes du Québec.
En terminant, nous voulons croire que votre ministère considérera positivement nos revendications et s’engagera activement dans l’amélioration du programme dit du 1%, dans un esprit d’ouverture, d’équité et de respect à l’endroit de la communauté artistique. Nous attendons incessamment votre réponse.
Recevez, Madame la ministre, nos sincères salutations.
Le Groupe Divergence (Hélène Goulet, Nikolai Kupriakov, Ève Langevin, Louisa Nicol)
Appuyé par : Edwidge Asselin, Luc Béland, Gilles Boisvert, Nicole Doré-Brunet, Réal Dumais, Giuseppe Fiore, Thérèse Fortin, Suzanne Joubert, Michel Lancelot, Claire Lemay, Edgar Mc Intyre, Guy Montpetit, Gisèle Normandin, Suzanne Reid, Armand Vaillancourt, Florent Veilleux.
Adresse de retour :
Groupe Divergence
4167, av. des Érables
Montréal, (Québec)
H2K 3V7
Tél. : (514) 277-0513 (Nikolai Kupriakov)
C.C. :
Madame Danielle-Claude Chartré, Directrice générale du secrétariat et des communications Ministère de la Culture et des Communications; Monsieur Daniel Turp, porte-parole de l'opposition officielle pour la culture et les communications; Madame Suzanne Bernier, Monsieur Pierre Aubry – service de l’intégration des arts à l’architecture; Artistes-membres du RAAV; CA du RAAV; CALQ; RCAAQ; Ordre des Architectes du Québec; Bureaux d’architecture; Médias.
p.j.
Lettre de Madame Danielle-Claude Chartré du 19 octobre 2005; articles de M. Jean-Claude Leblond de novembre 1991; pages 74-81 du livre de M. Marcel Deschênes « L’Art de qui? »; article au Devoir du 18 janvier 1998 de Madame Lise Bissonnette; article de Suzanne Joubert de février- mars 1996 à L’Agora; article au Devoir du 25 avril 1998 de Ève Langevin