Lettre ouverte SQ

Artiste réprimé par la Sûreté du Québec

Lettre ouverte au directeur général de la Sûreté du Québec, M. Mario Laprise

Montréal, le 1 août 2013

Monsieur le Directeur,

Après avoir peint le portrait d'une juge en utilisant une technique non conventionnelle, j'ai été surpris de me retrouver sous enquête de la Sûreté du Québec qui a pris à mon égard les mesures arbitraires, abusives et hautement préjudiciables que je détaille plus loin dans cette lettre.

Pour réaliser l’œuvre en question, je me suis inspiré du peintre mondialement reconnu Piero Manzoni, qui a notamment utilisé de la matière fécale comme médium. Pour votre information – et celle de vos inspecteurs - le travail de Piero Manzoni a anticipé et directement influencé celui de la génération d'artistes italiens plus jeunes réunis par le critique Germano Celant lors de la première exposition d'Arte Povera qui s'est tenue à Gènes en 1967. Il était lui-même inspiré par les recherches d'Yves Klein, considéré comme l'un des plus importants protagonistes de l'avant-garde artistique d'après-guerre. Je ne pense pas que la Charte des droits et libertés interdise de s’inspirer d’artistes italiens ou français mondialement reconnus.

Pourtant, un inspecteur de la Sûreté du Québec m’a appelé le 24 mai dernier en qualifiant mon œuvre d’ « intimidation » et en faisant un lien avec le fait que je suis détenteur d’armes à feu. Rapprochement arbitraire dont la pertinence m’échappe encore.

Sous prétexte que je pourrais, je cite : « ...compromettre sa sécurité ou celle d’autrui… », la Sûreté du Québec m’impose, sous prétexte de révision de mon permis de port d’arme, de subir des examens mentaux ; de lui fournir les coordonnées de l’ensemble des membres de ma famille, de mon ex-conjointe, d’au moins deux amis, et de mes deux derniers employeurs ainsi que mes lieux de résidence des cinq dernières années. Je dois en outre lui autoriser l’accès à des renseignements de mon dossier médical, sur ma personnalité, ma fiabilité, ma formation scolaire, mes emplois antérieurs et ma solvabilité.

Je me demande, en voyant cette liste, qui fait de l’intimidation ? L’artiste ou la police ?

Il est vrai que je pratique le tir depuis très longtemps; je suis un bon tireur et je suis fier de l’être. Cependant, ceci n'a aucun lien ni avec ma profession d’artiste, ni avec mes performances artistiques, ni avec mes engagements sociaux. Tous mes permis sont en règle et je me suis soumis à toutes les vérifications exigées par la loi. Je ne sais pas qui je suis supposé assassiner, mais vos policiers sont sûrement mieux renseignés que moi sur ce sujet.

En quoi une performance artistique vous fait-elle penser que l’artiste prépare des actes graves ?

L'arme d'un artiste n'est pas un colt, mais bien un pinceau.

Deux points sont totalement inacceptables dans l’agissement de la Sûreté du Québec :

Je suis un artiste professionnel et je pratique ce qu’on appelle « l’art engagé ». Les dirigeants pourris, les politiciens grotesques et la police qui outrepasse son mandat inspirent souvent mes sujets.

Une de mes œuvres réalisées durant le Printemps Érable comporte ainsi le portrait de M. Jean Charest en matière fécale, riant derrière la police qui s’apprête à écraser une étudiante nue. Vous auriez peut-être préféré que je réalise les personnages de mes tableaux en miel? Je dois vous décevoir, parce que la personne qui envoie la police à tirer des balles en caoutchouc sur les enfants du Québec ne mérite pas d'être peinte en miel. D’ailleurs, un artiste n'a pas à demander la permission à la police pour choisir ses matériaux pour une œuvre.

Est-ce qu’une œuvre d’art peut être dérangeante? Bien sûr, l'art engagé est souvent dérangeant. Son rôle dans la société n’est pas de plaire, mais bien de questionner et de faire réfléchir. Il y a maints exemples de ceci dans l'histoire de l'art. D'ailleurs, l’utilisation en art contemporain de matériaux dérangeants, comme les excréments, le sang et même des cadavres, n'est pas une nouveauté non plus. Est-ce que Piero Manzoni a été mis sous enquête policière? Vous devriez intégrer quelques cours de culture générale dans vos écoles de police : on aurait peut-être un peu moins de « matricule 728 ».

Je peux vous assurer que je ne demanderai pas la permission de la police pour continuer à créer mes œuvres. Si un premier ministre dans sa démence donne l’ordre à la police de tirer sur nos enfants, il se retrouvera sur mes tableaux. Si une juge dans l’apparence de conflit d'intérêt donne le feu vert au ministère de la Culture pour discriminer les artistes professionnels, elle se retrouvera sur mes tableaux. Si les bandits de la politique municipale nous volent, leurs personnages trouveront également leur place sur mes tableaux.

 

Nikolai Kupriakov,